RÉCIFS, ou petites chroniques de mauvais genre.

 

    Le cahier d'Ali Haine
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  Ali Haine (c’était le pseudo qu’il s’était donné depuis son incarcération dans ce pénitencier pour étrangers, qui lui rappelait l’ambiance des films de Rydley Scott) se triturait les méninges pour trouver un slogan pour la lutte. Un truc qui sonnerait bien avec le but de son combat, à lui et à ses potes prisonniers : obtenir « l’accès-soir ». Il cherchait quelque-chose qui sonnerait bien avec cette allitération, Ali. Un truc qui résonnerait quand tous les taulards le reprendraient en chœur dans le couloirs et les cellules. Comme un écho. Il commençait d’ailleurs à avoir ses préférences :

« Ah ! Ouais ! War ! C’est la guerre pour l’accès-soir! »

« Alléluia ! Allélou-art ! Pas de taule sans accès-soir ! »

ou bien :

« Année noire ! Les taulard veul’nt l’accès-soir ! » (« et vont l’avoir ! » - répons)

Il se disait aussi qu’un moyen de donner une belle couleur locale à la lutte (pour la presse, par exemple), serait d’égrener chaque jour un slogan à partir d’une allitération d’Ali sur une nouvelle lettre de l’alphabet. En ôtant le C de l’allitération originale, et le A et le E impossibles, puis aussi le I qui sonne comme le Y, ça ferait encore 22 jours de lutte. Et en comptant les lettres qui donnent plusieurs slogans, on pourrait aller jusqu’à un mois. Belle perspective ! Beau conflit ! C’était en fait (il refusait de se l’avouer) qu’il était très fier de chacune de ses trouvailles, et qu’il aurait voulu que chacun les connaisse toutes. Par dessus tout il n’en revenait pas d’avoir réussi à trouver quelque-chose avec le U. A priori, le U ne pouvait que finir comme le I et le O, en onomatopées. Mais c’était sans compter sur le nom du directeur du pénitencier ! Huart. Arthur Huart (ça s’invente pas). Ça donnait tout de suite un slogan de velours ! Genre : « Ah ! Hué ! Huart ! ». « Ah ! Hué ! Huart ! Ac ! Cès ! Soir ! » Et puis ça donnait du sens à tous les autres slogans qui finissaient en « art ». Art, c’est Arthur (comme Garfunkel ou Blakey). « Assez Sot Art ! » (avec S), « A ses sous, Art ! » (aussi avec S), « Ave, vous, Art ! » (avec V).

Et puis Ali se disait que lorsqu’on est enfermé de force, seul, dans une cellule sans fenêtre, sans feu, ni être, éclairé au néon 24 heures sur 24, à rien faire, et pour perpette, y’a rien à faire. Juste à gamberger. A se chercher une petite cause, une petite lutte, une petite revendication. Pour passer le temps. Pour se trouver un peu d’air, un peu de ciel. Quand il n’y a pas d’horizon en vue, plus aucun voyage possible, il ne reste plus qu’à s’inventer une île, où accoster. A défaut d’un pic, d’un cap ou d’une péninsule, un simple récif peut suffire, vers lequel on se persuade de mettre le cap, pour lequel on se pique, et qu’à peine à son insu on eut le nez, le désir, en eaux de berges… Raconter ! Des récits, des « if… », des blagues de gascon !

« Lorsque j’étais sans-abri, se disait Ali, avant que Van G. ne me coffre…Ce Van G, quand-même, digressait-il alors, entre-soi, quel mec ! Un dieu ! (Théo, en grec, aimait-il à se souvenir, car il avait des lettres et aimait les correspondances) Un Dieu de vengeance ! Une sorte de bougresque commissaire, comme celui de la rue Brique à Baraque (un commissariat pilote), mais en plus fort ! En plus bon ! En plus sang ! En plus bien ! En plus sûr ! Un aimé des dieux ! Pour avoir réussi à me coffrer, moi, Ali, il m'en laisse baba ! On dit même qu’il en est à son quarantième voleur… »

Un long silence suivit cette pensée… Puis un soupir… Toutes ces âmes que Van G. avait réussi à ouvrir, pour les ramener sur le droit chemin… ça le laissait songeur.

« Lorsque j’étais sans-abri, poursuivait donc Ali, je dormais tous les soirs à la belle étoile. J’étais aussi sans-papier. Ça ne m’empêchait pas de me payer tous les soirs un billet pour les bras de Morphée, là-haut, dans une constellation du ciel !  Aujourd’hui, j’ai un abri, et des papiers. Mais je n’ai plus de ciel ! Le seul que je puisse admirer est de faïence, dans cette cellule sans fenêtre (sans fun, n’y être !), où je ne voie briller que l’écho, et sa respondance ! J’ai envie de révolte ! d’air ! de rêve ! de révolution ! Je suis le poing sonneur ! ...Délit, las ! Je comprends maintenant pourquoi, nous les vaches prisonniers, on nous nomme les « sans-ciel » ! Pas d’horizon réel, dans cette cellule si tôt plasmique (et sans ouverture dans la membrane), mais pas non plus d’horizon mental, ou même symbolique. L’enfermement. Le grand renfermement. L’essentiel du carcéral.»

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