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Jeremy Liron  / Philippe Agostini, les espaces qui fondent le tableau                                     
[Les pas perdus 10. 2011]

Atelier 2013

Alexis Hubert - Errances peintes
Armand Dupuy -
Plier la peinture
Jeremy Liron - Séries, reprises
Theresa Nisters - Dans les plis
Jeremy Liron - Les espaces qui fondent le tableau
Jeremy Liron - Chaque oeuvre cherche après ce qui la fonde
Hubert Haddad - Peindre- Ecrire - Exister
Vincent Cordebard - Je crois qu'il peint pour voir.
Odile Schwarz - Sur le motif




De certains tableaux, on ne se souvient plus l’histoire qu’ils illustrent, ni même la composition globale et le nombre de personnages. La touche s’efface aussi. Demeure les relations qui liaient les choses entre elles, quelques postures réduites à un enchaînement de courbes, la blancheur d’un visage très délicatement peint. Guère plus. Et dans notre mémoire tiennent encore les mains, retenues dans l’air en un geste suspendu, étreignant les tissus et nouant toutes les masses à elles seules dans les lumières qu’elles installent en contre-point des visages. Daniel Arasse regardait en peintre lorsqu’il invitait à s’en remettre aux détails dans l’observation du tableau, c’est bien comme ça qu’il se construit : détails après détails nouant chaque partie en une grande unité. Quand bien même le détail ne serait qu’un rapport de tons et pas même un objet à placer dans sa phrase. Dans le beau film documentaire que Jesper Jargil consacre à Per Kirkeby (Vinterbillede, 1996), on peut voir l’artiste lutter pendant plusieurs jours si ce n’est plusieurs semaines, aux prises avec un grand format dont il ajuste les masses et les rapports, inlassablement. Tout n’est que taches accolées ou superposées de manière à fonder un lieu qui tienne. Des formes s’établissent avant d’être à nouveau englouties, emportées par le mouvement général que réclament d’autres points du tableau. Ce n’est qu’effet d’onde, implications complexes, sinuosités. Quand le mouvement se ralentit puis s’achève, on remarque une tache bleue sur la droite qui figurait à l’ébauche puis avait été noyée dix fois avant de revenir tenir l’ensemble. Le peintre fait le geste de nouer ses mains, doigts dans les doigts, pour expliquer ce qu’il cherchait à atteindre. Matisse n’a pas fait autre chose avec sa danse de 1909.

On pourrait voir dans les tableaux de Philippe Agostini un mouvement semblable, se souvenant de cent descentes de croix et d’autant de saintes conversations épurées jusqu’à n’en retenir que les plis internes, les forces à l’œuvre dans l’exercice toujours incertain du tableau quand, dans l’espace que son cadre dessine, cherche à se faire un lieu. Esquisse après esquisse les gestes et les postures se cherchent en une surface chahutée, convulsive ou hachée. L’espace même entre les figures cherche sa correspondance colorée. Couleur et dessin se mêlent, comme pour envoyer balader les vieilles querelles. Ce pourrait même être travail de sculpteur à mesurer les creux, les contre-formes et à les faire jouer à l’égal des volumes pleins. C’est toute l’histoire du corps dans ses représentations qui est à l’étude, entre poses et voluptés, avec une obsession monstrueuse. Un véritable vertige vous prend, semblable à celui qu’un passionné peut ressentir à parcourir les salles combles de tous les grands musées du monde : le peintre œuvre comme il respire, avec une obstination de dément. En recenser les variations est un travail en soi, celui du regard cherchant dans ses égarements la forme de quelque chose au bord de se laisser saisir.