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Alexis Hubert / Errances peintes
[texte innédit, 09.2018]

toiles en cours, état n°4, juillet 2019

Alexis Hubert - Errances peintes
Armand Dupuy
-
Plier la peinture
Jeremy Liron - Séries, reprises
Theresa Nisters - Dans les plis
Jeremy Liron - Les espaces qui fondent le tableau
Jeremy Liron - Chaque oeuvre cherche après ce qui la fonde
Hubert Haddad - Peindre- Ecrire - Exister
Vincent Cordebard - Je crois qu'il peint pour voir.
Odile Schwarz - Sur le motif


Peindre : il prend le pas sur le discours, le piétine parmi les couleurs, les espaces entre-ressassés. La porte ouverte, un gigantesque corps alourdit l'atmosphère - il hume la mélodie du chaos concaténé. Le commencement du regard cherche sa précipitation. Une toile s'ouvre par le milieu, et déchire l'espace ; des monceaux de matières s'écartent devant l'explosion du motif, cognent contre les bords ; Des linéaments les retiennent comme en blocs, mais rompus sous le poids du mouvement morcelé, dérivant hors des lois de la gravitation, rejettent des bribes d'aplats tentant de contenir l'impossible expansion. L'œil s'engouffre dans la toile, vivant sa constitution de paysage - une marche nocturne sous un soleil déclinant, voilé par la nervosité d'un geste blanc - se retrouve pénétré de son humeur aqueuse. Aveugle sans écrire comme parler vous survit - pulsions ravalées, recrachées à la figure de l'autre, à reprendre chaque jour comme une bénédiction du mal - il cherche à voir à quel point il ne voit rien, du mieux qu'il ne peut pas ; il ne se vit qu'avec le recouvrement de ses balbutiements en couleur, de ses lumières à tâtons, de ses espaces écartelés. La tâche est infinie, là, nulle part dans le monde, en son point nodal, entre les bords mobiles et centrifuges du crâne, adossé à aucun autre paysage que celui les contenant tous. Il voyage de tableau en tableau, nomade sous la circonvolution des techniques, ignorant ce que peindre tait dans les gestes et laisse résonner, avec tous les cadres découpés arbitrairement à la surface du monde. Les personnes se confondent dans une neutralité rayée et sublime ; et des personnages émergent dans l'usure du regard, ce regard qui cherche obstinément à distinguer une figure, la figure enfouie dans toutes les surfaces, un portrait avalé par ses couleurs, une déformation de tête, la figure qui viendrait dire chaque étape de la métamorphose d'un être comme une somme d’illusions digérées par son devenir. Des paquets d'arbres arrachés convoquent presque son désir de dire l'extinction ; celle du travail, là où il ne resterait plus qu'une image, celle de l'homme et du monde rassemblés dans la mémoire de toutes ses strates d’espace-temps. Il empoigne la peinture, il l'embrasse violemment, il tord et la dépèce, il la dépense comme il ferait devant un paysage tourné vers son chevalet intérieur, pieds et buste arrimés à la succession vertigineuse des toiles offertes à l’émotion. Il ramasse d'un balayage des yeux les morceaux du corps perdu, à jamais cherché, qu'il assemble et désassemble, étire et confronte, pour éprouver le sien couché dans les mélanges, les juxtapositions de teintes, les frottements de formes, celles qui composent avec l'anonymat de l'espèce et croient à l’intensité du mourir - cette traversée irradiant l'espace et le temps d'un seul jet de corps et d'esprit. Le pinceau trempe son attente, et la palette, portée par le volume séché des couleurs, ne distingue plus guère que le témoignage de couches physiques par trop labourées - jusqu’au piétinement, jusqu’aux intuitions de la levée des bourgeons. Il trempe son doigt pour vérifier, la pérennité des coulures, l'absence de coagulation prématurée. Très vite alors, des jambes et des bras, toutes les bouches et tous les yeux tournent, dans le maelström des enchevêtrements de traits et biffures, glissent de l'un à l'autre, composent des démembrements, étalent des élancements vers les assemblages voulus. La peau s'infiltre, tentaculaire, dans les interstices d'un souvenir de toile digéré, d'une étreinte amoureuse devant un ciel branlant, accusant le poids de deux corps ensablés, enchevêtrant leurs attributs. Tous les organes des sens se convoquent, dissémination de chair à travers les densités des masses de lumière vécue sous les paysages. Des bras semblent soutenir un seul corps central, comme une procession, un rituel plastique, l'ébauche de cils entrouverts. Le visage esquissé en assemblage de rides et de fronts, dont les brisures cassent ses arêtes trop visibles, accuse le passage électrique des énergies métamorphiques entre les tempes. Des fluides mauves remontent alors dans la toile comme une humeur assombrie sous la catastrophe. La figuration plus nette regimbe par moments comme si une véritable tension de vivre-peindre ne pouvait construire et projeter que de l'informe. Mais c'est une coupe que propose un autre tableau, un œil au dessus comme pour superviser l'emboitement présent et à venir de toutes leurs superpositions. Un couple se serre maintenant par les bords, leurs mains, leurs bras au plus haut du paysage. Ce qui palpite et s'effondre sous la calotte crânienne transpire dans mes yeux, par les vastes jets de matières filées, grossies et épatées en autant de reprises égarant sa main. Des précipitations, qui se coincent parfois, entrechoquées, se nouent à tout lieu de la toile, où, d'une distorsion crée, se relâchent et se libèrent des ciels rêvés, des corps enlevés. Les cadres se dérobent sous d'autres cadres, sabordant le motif, adjoignant des restes de figures à la communication des strates. Le talon pivote et s'enivre entre les aperçus brefs des tas de lignes qui se donnent du volume par friction. Il passe d'un tableau à l'autre, quand le regard n'accroche plus, quand la forme se laisse trop appréhender par la reproduction. Il parle de l'autre, sans savoir, prenant simplement sa place, tentant le déplacement jusque dans l'affabulation. Il fictionne la peinture, tend à l’être, artiste. Il se souvient alors que depuis toujours, il s'est interrogé sur la persistance rétinienne des naufrages subis de son enfance, et sur la matérialisation plastique immédiate de certaines visions violemment exactes, chevillées aux entrailles.



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