L'insouciance (fragment 7) « Debout, le verre, c’est la chute d’une cascade, un rideau de glace tendu, un bloc solide et cristallin… » Elle referme la main
sur le cylindre froid pour en éprouver la résistance, malgré
le vide, et apprécier le poli de la fine cloison. Resserrant la
prise, elle soulève le verre et le porte à sa bouche : contact
de la paroi dure amortie sur le coussin des lèvres, comme une tête
s’enfonçant mollement dans l’oreiller. Le bout de langue
se colle à l’intérieur de la cloison pour palper l’épaisseur.
Puis elle fait rouler le verre contre sa joue. Elle sent le rouleau froid
se déplacer sur le duvet en poussant la peau comme une pâte
à tarte... « Tarte ! Elle doit sembler tarte pour ceux, qui, assis au comptoir du café la regarde. Tarte ou timbrée, ou les deux ! Et puis après… ? » Elle recommande un verre qu’elle boit d’un trait. Elle ferme les yeux en pensant aux reflets du soleil dans le bassin du port, à la danse des boules de lumière sur l’eau grasse, au clignotement du soleil sur les taches d’huile… Elle revoit la pyramide de billes fracassée par le boulet, éclatant dans la cour de l’école, sous les cris des enfants : gouttes de lumières rebondissant sur les graviers. Elle imagine le moment de l’impact, au ralenti, et revoit la fleur figée de cette goutte qui explose à la surface de l’eau. Le bruit des billes qui sautent, le moteur du remorqueur, les remarques moqueuses des clients quand elle lâche le verre, les bris du verre comme un éclat de rire, les gouttes de pluie qui sautent sur les flaques, les auréoles qui tachent l’eau du port, le cri des mouettes… Le morceau de verre sur la langue, un glaçon. |
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