L'insouciance (fragment 19) (Mondain donc !)
De toute, façon cela avait mal commencé, j’ai toujours eu horreur des vernissages, surtout des miens. J’étais habillé comme un pingouin pour faire bonne figure, je restais poli aux questions idiotes et remarques déplacées « Vous avez commencé jeune ? » et «… ça doit prendre du temps à faire tout ça… » et « Vous peignez debout ou assis ? » et « Ha les couleurs ! Non si, je vous assure c’est presque comme chez moi… » Même avec une flûte à la main c’est dur à encaisser la bêtise. Et puis il y a eu ce repas chez le galeriste. Bel intérieur, chic, grand (trois mètres sous plafond), lumineux comme une galerie avec un beau déballage de minettes, de critiques, d’écrivains décadents (mais sur le retour), de jeunes loups, de collectionneurs triés sur le volet, de collectionneuses tirées sous les oreilles (comme des baudruches). Rien que du beau monde ! Et ça causait encore, pour ne rien dire, pour paraître, pour avoir le bon mot (et surtout le dernier) : une discussion entre amis ! J’avais eu plusieurs fois, au cours de la soirée, l’envie pressante de fiche le camp. Leurs gloussements m’écœuraient. J’ai bu un peu, puis un peu trop pour supporter mon irrépressible envie de retourner une claque à ma voisine qui entamait son énième chapitre sur ses vacances en Casamance. Je n’aurais pas du boire. Au dessert, un convive s’est écrié : « C’est quoi le truc le plus idiot que vous avez vu cette semaine ? ». Je savais quoi répondre, mais j’ai passé mon tour en me resservant un verre. « Moi ! Moi ! », a dit une jeune femme brune avec ses boucles d’oreilles qui raclaient l’assiette, « …moi j’ai assisté à un truc ébouriffant… Un vernissage dans le 18eme, c’était chez… Ho non ! Vous allez deviner… (et de pouffer !). Il y avait une voiture de course dans le hall de la galerie, une toute rouge avec plein de chromes derrière, vous voyez le genre… On étais tous là, en cercle, quand le pilote – c’était l’artiste – est venu s’asseoir au volant… (regard circulaire et silence pour mesurer l’attention des convives)… Alors il a mis son casque et a démarré en faisant Vrommm ! Vroummm ! Comme ça, avec la bouche… Il faisait semblant de conduire en tournant le volant, en se penchant dans le virages… (nouveau silence de suspens, suivi de la réaction des auditeurs)… Et alors ? … (victorieuse) Et alors c’est tout ! Après il est sortit de la voiture en levant les bras comme un champion… » Un autre déjà prenait la parole pour raconter un concert mémorable ou le pianiste jouait avec deux doigts toujours la même note, un autre s’est souvenu du dernier film de Woody Allen et du moment ou, (horreur) il avait perdu le fil du récit parce que sa voisine se branlait bruyamment… et cette autre qui se souvenait d’une performance à New York, dans un parking sous-terrain, avec une femme nue qui suçait un morceau de mortadelle en regardant des dessins animés… Quand le tour de table est revenu à mon tour j’avais hésité puis je m’étais levé en disant « glouglou ! ». Ca avait jeté un froid. Puis j’avais poussé ma chaise et relevant les pans de ma veste et j’avais continué à faire glouglou en imitant le bruit des dindons. Je tournais sur moi même. Puis dans un silence glacé, j’avais repris ma place. Comme mon hôte interloqué me demandait d’en dire plus sur cet excitant (tu parles !) spectacle, j’ai seulement répondu. « Mon dindon ! » |
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