L'insouciance (fragment 18) Le paysage défilait gris et froid derrière la glace. Des traces blanches griffaient un ciel de goudron délavé. Les bas côtés de la route, gommés par la vitesse, s’effilochaient en traînées brunes et vertes ponctuées par la cadence des poteaux de la rampe de sécurité. Des ponts, des échangeurs, des maisons posées en contrebas de la voie expresse, comme des boîtes d’allumettes. Patrick avait décidé que nous irions visiter Pompéi. Depuis Rome ce n’était pas loin. Tu parles ! Deux heures et le pouce! Bien sûr, rien n’est jamais loin quand c’est inoubliable. Pompéi, ce n’était que des images délavées d’un vague souvenir de mes cours d’histoire de l’art, de mauvaises diapositives jaunies projetées en trois sur quatre avec un commentaire rôdé et un chapelet de noms latins…
« Voir Pompéi…
et mourir d’ennui sur les bancs d’un amphithéâtre
ni romain ni grec.. » avait soufflé ma voisine en se penchant
vers moi «… et dire qu’il va encore falloir se taper deux
années avec lui… ». Elle parlait du petit bonhomme chauve
assis derrière l’estrade et qui machinalement tournait les
pages de son cours en actionnant de temps à autre le chariot de
l’appareil de projection. Clac ! Clac ! « Ici nous pouvons
voir, sur la gauche, les fouilles en 1954. Comme vous pouvez le constater,
un grand nombre de bâtiment étaient encore... ». Je
regardais ma voisine, elle avait un joli profil, tête penchée
en avant, une main sous le menton, le crayon traînant sur la feuille.
De temps en temps elle repoussait une mèche derrière son
oreille et reprenait sa position. Malgré la pénombre je
me rendais compte qu’elle ne prenait pas de notes mais qu’elle
griffonnait. Comme une pluie de cendres… C’était cela qu’il me restait de la description faite par Pline le Jeune de l’éruption du Vésuve et de l’ensevelissement de la ville. Je récitais mentalement : « C'était la première heure du jour et la lumière était encore faible, déjà les bâtiments se lézardaient à cause des secousses, et bien que nous fussions à l'extérieur, l'étroitesse de la rue nous faisait redouter de grands dangers en cas d'écroulement… ». Une averse glaciale s’était abattue pendant que nous accédions, par l’une des portes sur l’esplanade...Le sol en pierre était glissant et nous avons couru sans rien regarder, cherchant un abri parmi les façades dressées.
Nathalie, debout sous
le porche avait les cheveux trempés. L’eau dégoulinait
sur son front et sur ses tempes. Je lui avait proposé de monter
pour prendre un truc chaud. J’aimais le geste de ses deux mains enserrant
le bol de thé que je lui avais tendu. Elle avait défait
ses nattes pour se frotter avec une serviette. Elle souriait, j’avais
mis du Otis Redding, the dock of the bay , je crois...
Nathalie était
couchée sur le dos, au milieu du lit, dans le désordre des
draps. Un corps enseveli sous la première la neige d’une nuit
d’hiver, un corps blanc abandonné entre les vagues sur la
plage, dans la pièce aux persiennes tirées. « …un
baiser pour réveiller la princesse de son sommeil ? » avait-elle
murmuré. La ville aussi était couchée sous un manteau
blanc, de gros flocons avaient fait place aux hallebardes de la veille.
« Fais moi nager ! », avait écrit Nathalie, sur la buée de la glace de la salle de bain, en sortant de la douche. |
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