L'insouciance (fragment 17)

(Malaise en biais)

Je ne sais plus qui avait eu l’idée d’aller aux îles du Levant en plein hiver … Toujours est-il qu’on est descendu tous les cinq depuis Aix jusqu’à Hyères. En bordure de mer le mistral soufflait. L’air était glacé. Sur place, on a appris qu’à la morte saison, les navettes ne faisaient pas la traversée tous les jours : pas assez de passagers !. Les Embiez ce serait pour une autre fois !
Anna nous a lu à haute voix, en imitant le ton d’un guide, un extrait du dépliant touristique trouvé sur un présentoir :

« De taille pratiquement égale à celle de Porquerolles, vue d'avion l'île du Levant se présente sur une longue arête rocheuse de 8 km de long et seulement 2 km de large ….Tatata… Recouverte d'une superbe et généreuse végétation, l'île du Levant ressemble dès qu'on l'approche à un véritable paradis terrestre. Tatata… Vous pourrez monter à pied jusqu'au village par un long escalier (à gauche du port !) qui se prolonge par une côte joliment appelée "La Perspective". La marche est raide et dure environ 20 minutes jusqu'au village mais c'est un véritable bonheur... A chaque pas, vous aurez envie de vous retourner pour admirer la vue panoramique offerte sur la mer… »

Puis de conclure :

« L'Île du Levant a tout pour vous envoûter. L'air pur, l'eau clair, le soleil, la liberté, l'Île du Levant a tout pour vous envoûter. Vous pourrez dire : "Un paradis existe, je l'ai rencontré"

Nous ne voulions pas perdre notre journée à traîner sur le port. Hors saison, un dimanche, la ville, était presque fantôme… Les Embiez, c’était surtout pour la consonance du nom, je crois. Ca faisait marrer Gilles qui prenait un malin plaisir à prononcer le Z final, en traînant l’accent : «… aux Embiez les gens biaisent… beaucoup ! ». Nous avons hésité un moment à reprendre la route. Finalement on nous a indiqué un bateau pour Port-Cros qui partait de la presque île de Giens.

La mer était agitée. Ca moutonnait pas mal!. Nous étions seuls à bord, à part une vielle dame avec son cabas remplis de légumes. Olivia, Adèle, Anna et Gilles étaient rentrés dans la cabine pour s’abriter du vent. Comme je n’ai jamais eu le pied marin, je me suis installé dehors, sur la banquette du pont arrière. Malgré le crachin que produisait la coque chaque fois qu’elle tapait les vagues, j’avais l’impression de pouvoir supporter la traversée. Je fixais le bouillon de l’eau et le sillon que nous laissions derrière nous. Je cru, un moment, que les vibrations du moteur rythmé d’un ronflement nasillard, accompagné par le drapeau qui claquait au vent, allaient finir par m’achever. J’aurais voulu me dissoudre dans les flots. Etre liquide, être l’écume…


 

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