L'insouciance (fragment 14) J’ai chez moi, à proximité de ma table de travail, un crâne. J’aime la présence discrète et familière de cette boite osseuse. A une époque j’en ai même eu jusqu’à trois dans l’atelier. De temps en temps, je la prends entre les mains, je l’examine. Celui-ci est un crâne de laboratoire. La calotte découpée en deux est fixée par deux petits crochets d’aciers. Il me suffit de les faire coulisser pour découvrir l’intérieur de la cavité. La mâchoire, encore en place, est articulée par des ressorts. Il arrive donc que mon crâne baille. Il n’a plus toutes ses dents mais conserve un beau sourire. D’où me
vient cette fascination de l’os ? Sans doute pas une fascination
macabre (quoi que cela reste encore à vérifier…), non,
je crois simplement que c’est ce volume dans sa complexité
de creux, de bosses, lisse et rugueux tout à la fois, comme moulé,
qui m’attire et m’émeut. J’aime tout autant les
galets ou les morceaux de bois flotté. J’ai dessiné
souvent des crânes, mais celui-ci n’a pas encore bénéficié
de cette attention, ni moi de la sienne. J’ai conservé longtemps cette découverte dans un bocal de confiture. Je le regardais au travers des parois taillées en biseau. Il se démultipliait et se déformait comme l’image d’un kaléidoscope. Un jour ma mère a brisé le bocal en faisant le ménage sur mes étagères et le crâne a subi le même sort que les mille éclats de verre. « Ton horreur » comme elle disait, a donc fini sa vie (si je puis dire) au fond du vide ordure. |
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