L'insouciance (fragment 13)

(Assinie)
Alain et moi on avait décidé que c’était le jour. Les parents faisaient un grand méchoui près des bungalows. Ils seraient bien trop occupés pour vérifier nos allés et venus, à nous, les enfants. Alain avait repéré, depuis plusieurs semaines déjà, une pirogue à l’écart sur la plage. De là, ils ne nous verraient pas partir et une fois sur la lagune, ils n’y prêteraient même pas attention.

Ca faisait un moment qu’on y pensait et une telle occasion ne se présenterait pas de si tôt.

Je m’étais installé à l’avant avec la perche. Alain s’est enfoncé jusqu’à la taille pour pousser la pirogue. Au moment de monter il n’arrivait pas à tirer sur ces bras. La pirogue a tanguée. J’ai poussé sur la perche pour prendre mon appui et j’ai failli basculer. Ca commençait mal ! Accroupi au fond j’ai hissé Alain à moitié. Il était blanc ! Je lui ai demandé si ça allait mais devant son sourire crispé, j’ai compris qu’il ne valait mieux pas insister. Il était vexé.

La perche n’a pas été utile très longtemps. la lagune était sans doute plus profonde qu’on ne l’imaginait. Il n’y avait pas de rame à bord. On n’a pas mis longtemps à comprendre qu’il allait falloir pagayer avec les mains. « Oui !... Mais s’il y avait des crocodiles ?... ou des hippopotames ? » …« Bah ! On les verra venir de loin… avait rétorqué Alain, sûr de lui, tu sais, ça fait une traînée sur l’eau, on voit leur dos…T’inquiètes ! »

Quand on regardait l’autre côté de la lagune depuis les bungalows, on imaginait que c’était pas très loin en face. Alain m’avait dit : « On pourrait traverser ça en dix minutes et aller se baigner de l’autre côté. Ce serait quand même mieux que cette eau pleine de vase… Je l’ai fait une fois… c’est pas sorcier !…Il faudrait juste une pirogue… ». En face, derrière les palmiers, c’était la mer. « Une fois là bas, ajoutait-il en montrant du menton la rive opposée, on est à cinq minutes de la plage… à nous les vagues ! »

On n’avance pas si vite que ça avec les mains, surtout penché en avant pour utiliser les deux bras en moulinet. Au bout d’une heure on avait presque traversé. Quand le nez de la pirogue heurta les troncs des palétuviers, J’étais carrément épuisé. Je n’osais pas trop me plaindre mais je me disais que le trajet du retour serait difficile. Alain ne disait rien.

De l’autre côté, on n’a pas trouvé d’endroit pour accoster. Pas de dégagement sableux pour tirer la pirogue à sec. La perche s’enfonçait dans une vase épaisse et lourde. « le courant a du nous déporter trop loin » avait dit Alain.. La chaleur était lourde, j’avais soif, et nous n’avions pas pensé à prendre de l’eau. Je commençais aussi à douter que nous trouvions un moyen de prendre pied sur la berge. Après plusieurs essais infructueux je proposais à Alain de faire demi-tour, et que « tant pis pour la plage…qu’il se faisait tard…que la pluie allait nous surprendre…que… ». Je reçu, en retour, l’expression que je redoutais le plus dans sa bouche : « Dégonflé !»

On a refait le chemin en sens inverse. J’entendais, dans mon dos, les soupirs exaspérés et les grommellements d’Alain. Vers le milieu de la lagune, je vis à quelques mètres de moi, à la surface de l’eau, glisser en un éclair la forme souple d’un serpent. Je me levais brusquement et partis en arrière. Je n’eu pas le temps de comprendre ce qui arrivait. J’étais était enveloppé d’une eau trouble. C’était gris et flou : je cru voir des monstres surgir. La tête hors de l’eau je hurlais. La pirogue avait chaviré. J’entendis, de l’autre côté du ventre de bois qui nous séparait, les cris d’Alain. Lui aussi se débattait dans l’eau : « Bon dieu vite ! Retourne la pirogue… les crocos !!»

Revenus au point de départ de notre escapade, nous avons vu que nos parents étaient prêts à nous accueillir. « Tu sais, a soufflé Alain qui n’avait plus desserré les dents depuis son. plongeon, heureusement que t’étais là... Je ne sais pas nager.»


 

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