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notes sur clichés
(photo revisitée)
39/ C'est toujours drôle de constater comme une seule image peut,
par associations d'idées, faire remonter les souvenirs les plus
enfouis, les êtres ou les situations, les lumières et les
gestes. Celle-ci,
présentant des touristes devant les ruines d'un temple grec ou
romain, a fait revenir en vrac au moins trois moments de ma vie.
D'abord,
cette silhouette penchée dans l'encadrement d'une fenêtre,
parlant d'une voix douce, m'enseignant - tantôt appuyée sur
le dossier d'un siège, tantôt regardant par dessus mon épaule
- les rudiments de cette langue qui, bien qu'elle soit maternelle, ne
m'était pas si facile à écrire et à parler.
Il n'y avait pas que la voix qui me semblait douce, mais aussi les gestes
appliqués de ses mains. Elle portait, je crois, un chignon et s'habillait
de robes vives à fleurs. Je l'aimais beaucoup, pourtant, je me
rends compte que je l'avais oubliée, et ce, jusqu'à son
nom. En fouillant dans ma boite d'images je retrouve - mais comment est-il
possible que je sois toujours en possession de ce objet, après
tant d'années ? - une carte postale datant de 1977 et postée
de Grèce.
L'image présente une vue en couleur de l'Erechthéion, sur
l'Acropole d'Athènes. Au dos, une phrase écrite en oblique
: " Je te souhaite de pouvoir
venir un jour au pays où nos sommes, intellectuellement tous né.
Amical souvenir. J.F ". Le courrier m'est adressé à
Toulon. J'ai 15 ans, j'en avais 12 quand je l'ai vue pour la première
fois.
L'autre souvenir est plus récent. Il est venu tout de suite en
regardant le temple grec. Je suis au Palatin, à Rome, quelques
jours avant le changement de siècle. Nous avons passé toute
la matinée à déambuler dans les ruines, la pluie
fine qui n'a pas cessé de tomber ne nous a pas découragés.
Nous avons fini par accéder à la terrasse supérieure.
Le vent s'est levé, chassant les nuages. Il fait très froid,
je remonte le col de ma veste. Je recharge le camescope avec une nouvelle
bande vidéo. Quelques personnes se sont aventurées dans
les thermes où, jusqu'à présent, nous étions
seuls. J'enclenche la prise de vue en démarrant le plan sur un
mur dont l'appareillage est de brique. Je m'aperçois que la batterie
clignote et que le temps restant de prise de vue est annoncé à
1 minute. Je pivote pour aller chercher les touristes qui, comme moi,
errent entre ces murs dressés au milieu de nulle part. Une femme
se penche et ramasse quelque chose qu'elle lance aussi tôt. Un homme
filme, lui aussi, une enfilade de colonnes. Je me demande un instant si
quelqu'un d'autre nous filme. Le champ de l'image se vide personne d'autre
ne vient. Moins d'une dizaine de secondes s'affichent au compteur, je
décide de clore le plan quand j'entends au-dessus de moi le bruit
d'un avion. Machinalement, je tourne l'objectif dans la direction du bruit
en élargissant le champ. J'ai tout juste le temps de voir apparaître
dans le viseur, en amorce, la découpe d'un chapiteau. La silhouette
d'un long courrier traverse de gauche à droite. Le voyant clignote
sur un ciel vide avant de s'éteindre. L'écran du viseur
bascule au noir.
Le troisième moment est encore lié aux cartes postales.
En tirant la première sur Athènes, deux autres sont venues.
J'aurais pu les replacer dans la boite mais, le hasard faisant parfois
bien les choses, il m'est apparu sur le coup qu'il y avait un rapport.
Ce sont deux envois de la même personne, un artiste rencontré
à Marseille lors de l'installation de son travail en 1986. L'une
des cartes est daté de décembre 87, l'autre de l'année
suivante.
L'artiste en question était Jean Clareboudt. Nous nous étions
croisé un an auparavant, à la Vieille Charité, alors
qu'il réalisait " Campement / Site M ", une sculpture
monumentale composée de blocs de calcaire et de plaques d'acier.
Deux plaques d'acier noir, déposées par hélicoptère
avaient été dressées en V dans l'immense cour couverte
de neige. Puis il y avait eu un tas de pierres débardé par
plusieurs camions. C'était resté comme ça quelques
jours, le temps que Jean arrive. L'acier noir sur la neige côtoyant
le monticule de pierre était déjà pour moi une promesse.
Enfin le travail avait commencé : c'était la première
fois que je voyais une uvre se faire à l'aide d'un bulldozer.
L'engin tournait et retournait les pierres. Le monticule s'aplanissait
peu à peu jusqu'à venir buter contre les plaques. A la fin
quand le cercle fût esquissé, une troisième plaque
carrée, reposant sur des chevrons de bois est venue s'installer
à l'opposé des deux lames noires. On eut dit une plateforme,
un ponton ou un plongeoir. Le lit minéral était soudainement
devenu liquide à l'il.
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