Croiser
par hasard, un moyen d’expression nécessaire mais différent. Comprendre
d’un coup, bouleversé, que l’inouï est là dans la fluidité de la
couleur ou la pâte qui se dépose sur la surface. L’évidence est là,
informulée, maladroite mais tangible. Deviner alors que tous les mots
possibles auraient du mal à dire cela, mais vouloir croire que c’est
tenable.
Peindre
donc : creuser. Peu à peu, apprendre à reconnaître les gestes ou
les processus qui permettent d’y voir un peu mieux. La maladresse
s’estompe en partie. Tout, toujours, en peinture, recommence au coup de
brosse suivant, comme un premier tableau. Penser que ce n’est pas
encore ça, mais qu’avec un peu de travail ça va devenir. Mais
l’informulé reste. Tenter alors tout ce qui est possible, emprunter
toutes les routes.
Dans
ces gestes sommaires qui balayent la surface une image vient, et
parfois s’efface. Des carrefours tendent leurs bras : tout est
possible. Bifurquer ou continuer ? Pressentir l’intérêt de
s’engager sur un sentier plus escarpé : accepter ici de perdre
quelque chose - et parfois perdre l’essentiel : donc, recommencer
pour vérifier ce que l’intuition laissait affleurer. Avancer à tâtons.
Biffer, racler, essuyer… Se prendre au jeu. Tenter d’affiner ou de
déplacer une question vers d’autres territoires, ne pas attendre
une réponse, mais juste une éclaircie.
Pour
certaines peintures : être pris de vitesse. S’enliser dans
d’autres. Prendre acte, garder, recouvrir et continuer ou recommencer.
Accepter d’être retourné par telle poussée chromatique, trahit par la
main qui dérape…
Les
peintures se suivent, se ressemblent ou non. Chercher à saisir le lien,
le chemin entre elles, l’éventuel point commun auquel s’agrège la
couleur ? A quoi bon ! Creuser encore. Se retourner parfois
pour regarder toutes ces choses extraites du trou : voir que c’est
de l’indicible qu’il s’agit. Finir par l’admettre : c’est la
peinture qui nous ouvre.
(P.A., publié sur appeau vert en 2009)
|
|