1984 - 1987 (Premières figures - Le sachet de thé - Pietà -
Entre deux...)
[...] Mes premières représentations étaient centrées autour de la
figure, et plus particulièrement du corps. Je puisais mon inspiration, à cette
époque, dans un album de photographies familiales.
Je m'intéressais aux
attitudes, autant qu'à la gestuelle. Puis j'ai éprouvé le besoin de faire mes
propres photos qui ont servies de support à ces images. Pourtant quelque chose
me gênait, que j'attribuais aux effets de lumière trop contrastés de ces
clichés sur lesquels je m'appuyais et qui ne me permettaient pas de travailler
sur la notion de profondeur. [...] Juillet 85 - J'ai réalisé cette semaine une
série de photographies et de dessins devant un miroir mural brisé posé face à
une fenêtre. L'effet du contre-jour donne la possibilité de jouer de l'aplat
tout en travaillant les arrière-plans de façon plus floue... Quelque chose
m'intéresse dans ce rapport entre la verticalité frontale de la figure et la
possibilité d'introduire des profondeurs par la couleur. [...]
Hiver 1985 - Pour m'éprouver, sans doute, mais aussi pour
faire quelque chose de tous ces "sachets de thé" qui s'accumulaient
dans la cuisine, j'ai entrepris un travail autour et avec cet objet : tantôt
pris comme motif, tantôt inséré directement dans des assemblages. J'ai tenté de
m'approcher au plus près de cette forme, de la décliner mais aussi de la
détourner : rien ne ressemble plus à une chemise qu'un sachet de thé! […]
Pendant le travail autour du " sachet de thé ", j'étais centré sur
l'objet. J'ai donc ressenti le besoin de revisiter des sujets plus classiques
parce qu'il me semblait nécessaire de ne pas perdre de vue les relations
fond-forme contenues dans ces peintures... Les motifs de la nature morte, puis
ceux du paysage, se sont imposés (peut-être parce que j'étais à Aix ?). […]
Printemps 86 - Sur le mur de mon atelier, j'ai épinglé
plusieurs images : "La Pietà" de E. Quarton, "le Balcon" de
Manet, et quelques natures mortes de Chardin…c'est donc tout naturellement que
ces sujets ont nourri mes peintures à ce moment là. […] J'ai toujours pensé
qu'il y avait une certaine proximité entre cette "Pietà" de
Villeneuve les Avignon et les "Sainte Victoire" de Cézanne (dans
l'organisation formelle surtout). Sans trop m'en rendre compte c'est ce lien
(peut-être forcé) que j'essayais de trouver en réalisant mes peintures. [...]
Février 87 - J'ai beaucoup regardé les peintures de
Vélasquez ces derniers temps. […] Il y a, dans la verticalité du corps humain
représenté, quelque chose qui m’impressionne mais je ne sais pas vraiment
pourquoi (souvenir du miroir mural ?). Les figures en pied qui sont venues
habiter mes peintures sont toutes empruntées à des images photographiques
trouvées dans des revues. La plus part sont des portraits d'artistes. Il m'a
semblé amusant, à ce moment du travail, de les associer avec des figures de la
peinture ou de la sculpture...[…] J'ai envie de travailler à une sorte de
galerie de portraits réels et rêvés, comme un jeu de cartes pour enfants, où
Pierrot le fou rencontrerait Picasso, Cézanne s'entretiendrait avec Beuys, Le
David de Donatello ferait face à une photographie d'un jeune africain... [...]
1987 - 1998 ( Etudes sur motif - Figures - Portraits -
Carnets Recomposés - Paysages - Reliques - Autoportraits - Vanités
- Nus - L'atelier par les coins...)
De 1988 à 1990, plusieurs changements, intervenus dans ma
vie privée, ont sans doute modifié peu à peu ma façon de peindre. Un changement
géographique, tout d'abord, du sud à l'est de la France, qui a eu très rapidement
des répercussions sur ma façon d'aborder le traitement de la lumière... D'autre
part, j'ai progressivement cessé d'utiliser des supports photo comme point de
départ de mes compositions... A la fois je me sentais perdu (comme déraciné)
mais content de découvrir une autre façon de voir, scrutant parfois de si près
certains objets, que je m'étonnais presque de sentir leur rugosité, de
percevoir leur brillance. [...] Les paysages, surtout, étaient si différents de
ce que j'avais parcouru dans la campagne aixoise, plus luxuriants et moins
écrasés par la lumière, qu'il me venait souvent l'envie d'y installer des
figures, de m'en servir comme un décor... Toute sortes de choses que je n'avais
jamais envisagées auparavant s'installaient progressivement dans mon
travail.[...] J'ai commencé à peindre ce qui se trouvait sous mes yeux, dans
l'atelier puis dans les pièces de la maison, ce que je voyais par la fenêtre,
les amis qui venaient me rendre visite. J'ai multiplié les études sur de petits
et moyens formats de façon un peu compulsive. Petit à petit, l'atelier est
devenu le sujet privilégié de mes peintures, non pas parce que je l'avais
décidé, mais parce que je m'y tenais, parce que les objets que j'y avais
transporté s'accumulaient dans un coin, sur une table. Je tournais autour sans
chercher à les agencer. J'essayais, par la peinture, de voir et de rendre
visible ces motifs. [...]
En 1993, j'avais demandé à Véronique Vassiliou d'écrire des
dialogues pour un projet de film sur Gérard Gasiorowski. Véronique a écrit un
texte : N.O. Ma lecture de son texte a donné lieu à travail de peinture : 88
images qui composent la boite de N.O. Pour N.O. j'avais peint un ou deux
visages que je voulais insérer parmi les objets présentés en vis à vis du
texte, puis je les ai écartés, parce qu'il me semblait que cette enquête avait
malgré son sujet un caractère anonyme et intemporel... de plus, ces visages
étaient les miens... Aurais-je plusieurs visages? Combien?. [...]
J'ai accumulé depuis 1985 dans plusieurs boites à chaussure,
des milliers de pages détachées de mes carnets. Ces dessins, collages...
constituent la mémoire de mon travail sur cette période. En 1998, j'ai eu envie
de les réunir, de les assembler, de les recomposer sous forme de pages. Les
"Fragments recomposés" étaient des vues fragmentaires du motif que
j'ai assemblé pour reconstituer une linéarité du regard. Ils correspondaient à
un besoin d'ouvrir le cadre de l'image, de reconstruire les éclats épars du
regard sans pour autant chercher une continuité, ni une cohérence spatiale.
[...]
Un jour, Vincent m'apporte un plâtre que j'avais longtemps
lorgné chez lui, une tête de Faune à l'œil rongé par des ruissellements d'eau,
en me disant "Tiens, ça c'est pour toi, c'est un objet de dessinateur...
j'ai pensé que tu pouvais en faire quelque chose...". C'était bien vu! […]
Un autre ami, me laisse en passant un crane déposé dans une boite à chaussure :
"un locataire pour toi !"... […] Une de mes filles m'apporte dans
l'atelier des pommes qu'elle vient de ramasser au verger, je les laisse traîner
sur la table un peu trop longtemps... […] On me fait une proposition étrange :
"Pour le Mondial ne pourriez vous pas faire une série de peintures...?
". Le Mondial ? Je n'étais pas au courant... J'achète un journal, je le
parcours. Il finit en boule sur le plancher... Ca me donne envie de le peindre.
Souvent, j'ai l'impression que je ne choisis pas vraiment mes sujets mais
qu'ils échouent dans l'atelier... J'aime ces hasards. J'aime peindre ces
rencontres, comme on fait le portrait de quelqu'un pour apprivoiser son visage,
ou sa présence... [...]
[...] J'ai toujours eu envie de travailler sur le thème de
la Vanité... Mais je ne voulais pas forcément raconter quelque chose ou faire
une allégorie avec ça.!.. Je ne voulais pas non plus composer un motif
exprès... Les deux crânes qui ont transité dans l'atelier entre 1996 et 2001
n'ont été introduits au motif que tardivement, jusque là, je m'étais contenté
de les représenter à part, comme je l'avais fait pour les pommes, les citrons,
et d'autres objets soumis au travail d'observation. [...] En fait, plutôt que
de véritables Vanités, il s'agit d'associations (libres) d'objets, de formes et
d'images qui se répondent et émergent du chaos organisé (entretenu) du motif...
Et puis ça m'amusait de commencer quelque part et de voir se faire ces
rencontres au fur et à mesure que j'ajoutais un morceau de papier... C'est
comme ça que sont venus les Ensembles. [...]
2000- 2005 ( Recouvrements - Vues - Amont - Pandora -
Histoire(s) - Reprises... )
Il m'arrive très souvent de revenir sur des images. Ainsi,
au cours du travail pour N.O., plusieurs peintures sur papier avaient été
écartées avant d'être recouvertes.
Décembre 2001, janvier 2002, un voyage en Italie depuis
l'Est de la France, par la route. De longues heures à regarder le paysage
défiler, à filmer de temps en temps les bas cotés... Des talus, des arbres, des
pylônes, des ponts jusqu'à Pompéi, la villa des Mystères. [...]
Juillet 2002, j'entreprends un nouveau carnet. Les premiers
gestes qui viennent sur le papier me rappellent les "recouvrements"
de 96 et la série des "carnets recomposés", quelques paysages et des
visages font aussi leur apparition... Plusieurs thèmes sont convoqués ou
empruntés, pour certains, à l'histoire de la peinture... En fait, il n'y a pas
de motif particulier si non, peut-être, celui de la facture picturale.
"Amont" est donc une déclinaison, une promenade , à la recherche d'un
lieu imaginaire, d'une source possible où s'origine pour moi le geste de la
peinture. Dans la foulée, l'envie me vient de revisiter une boite d'images
découpées dans des revues... Histoire de jouer avec les interférences que
provoquent les rencontres des motifs choisis au hasard dans la boite, histoire
aussi de me débarrasser de ces images.[...]
2003.Vincent débarque avec son grand mannequin. L'idée de
travailler avec cet objet me tente depuis un moment, mais maintenant qu'il est
là (assis sur mon fauteuil) je le trouve trop volumineux. Il m'embarrasse par
sa posture et ses gestes empesés, presque un peu maniérés... Je décide de
l'aborder par morceaux.
Septembre 2004, en rangeant les toiles dans la réserve je
retombe sur des travaux d' Aix datant de 1987. L'envie me prend encore une fois
d'en recouvrir certains et de les combiner à d'autres plus ou moins récents...[...]
Fin 2004, je fermais la porte de l'atelier, je rangeais les pinceaux, la
palette et les autres accessoires, emballait les travaux et cessait
momentanément toute activité de peinture. Seul un petit carnet (Manual Training), accueillant
quelques exercices de recouvrements faciles, m'accompagnait. Privé du motif qui nourrissait jusque là mes travaux, plus
nomade que jamais j'avais pris l'habiyude de petits campements de
fortune, dépliant de temps à autre la boite de couleur et ouvrant les pages du carnet.
2005 - Des images venaient,
confuses, sombres, éparpillées, que je repliais aussitôt, un peu effrayé de la
béance qu'elles ouvraient. Je m'y suis remis, lentement. Quelque chose d'ancien
remontait à la surface. Des figures oubliées, des gestes retenus sans doute
depuis longtemps. Et puis, peu à peu, je m'y suis fait comme on dit d'un costume
ou d'une nouvelle paire de chaussures. Ces reprises sont, plutôt qu'une
nouvelle voie, un retour sur des chemins laissés quelque part à un
carrefour...[...]
2006 - 2013 - Eclats
2011 - Jeremy me demande aimablement
de parler de mon travail récent alors que je n'y comprends pas gand
chose moi-même... En posteface du livre "Chaque oeuvre cherche
après ce qui la fonde", je ne peux à peine que livrer ceci : "les
peintures ici retenues pourront, à n'en pas douter, pour ceux qui
connaissaient mes images précédentes, sembler plus confuses, plus
dissonantes, plus abstraites peut-être. je tiens à dire que j'en suis
le premier étonné, mais que ainsi vont les choses. Pourtant à bien
les considérer, elles expriment rien d'autre que la résurgeance
de traces plus ou moins anciennes qui, de temps à autres, ont ponctuées
mon travail. Et puisqu'elles venaient de loin, avec insistance, disons
alors que , cette fois-ci, je les ai laissé venir."
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