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> notes sur clichés (photo revisitée) 67/ Il y avait au bazar du coin de ces petits tubes de plastique avec lesquels on jouait à faire des bulles de savon. Enfant, j’en ai fait, comme beaucoup d’autres sans doute, une grande consommation. Pourtant ce n’est pas en soufflant dans l’un de ces anneaux de plastique que j’ai découvert l’émotion fugace qu’autorisait ce jeu, mais utilisant une simple paille préalablement trempée dans un bol d’eau mousseuse. Je ne sais plus qui m’avait montré comment s’y prendre, sans doute était-ce un ami de mon père, mais j’ai souvenir que le plus délicat consistait à fendre la paille à une extrémité en l’ouvrant en quatre. Je jouais dehors, à la lisière des arbres guettant le moment ou le soleil éclairerait l’une des bulles qui s’iriserait alors de toutes les couleurs de l’arc en ciel. Lorsque la fragile membrane englobant de l’air rencontrait un obstacle (des feuilles par exemple) elle éclatait sans bruit. Les bulles n’étaient pas toujours très sphériques, certaines s’étiraient même en forme de poire, et le grand jeu consistait à la détacher le plus tard possible de son support. Je pense ici à Jean-Baptiste Chardin qui a peint, vers 1734, un enfant (ou plutôt un jeune homme) accoudé à la margelle d’une fenêtre qui souffle dans une paille. Penché en avant, toute son attention est concentrée sur une bulle qu’il est en train de réaliser. A ses côtés un enfant plus jeune le regarde avec admiration. L’instant fragile que présente cette peinture - comme le sont d’ailleurs l’enfant au château de carte ou celui lançant une toupie, deux autres tableaux de Chardin – est bien évidemment une allégorie, presque une vanité, si l’on songe par exemple à la tradition du bouquet dans la peinture flamande. Ici, la bulle, par son aspect parfait (globe cristallin) mais ténu, est à la fois l’expression du souffle (donc de la vie) et de l’éphémère. ____________________ Edouard Manet - en grand phagocyteur qu’il était ! - reprendra à son compte cette thématique dans un portrait de 1867, pour représenter son fils naturel Léon Koelin-Leenhoff. |
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