Silence
Le
désir de peindre est quelque chose d’indicible. La peinture est sans mot.
En effet pour lui le choix de peindre est d’abord
le choix du silence : "peignant je me tiens au silence... puis
vient le temps du regard et je me rends compte que de parler de mes images
ne m’intéresse pas davantage estimant, à tors ou à raison, que tout est
dit en peinture : ayant peint la peinture m’impose le silence."
Il
est un homme difficile, divisé. Il vit dans le noir, la nuit. Il a constamment
peur de perdre son temps, de perdre de lui-même. Il est fasciné par son
propre regard, pas le regard sur soi, mais par ce que son regard invente
sans cesse, trouve (et se retrouve), par ce qu’il rend possible s’il est
vu, suivi, vécu, par ce que son regard invente avec ses mains. Ses deux
yeux ne lui suffisent pas. Il est prêt à tout pour se trouver, s’y retrouver.
Ses
deux yeux ne lui suffisent pas. Il lui faut voir, forcer la vision, toujours
recoller quelque chose. Récolter, collecter, collectionner, coller, construire,
bâtir.
Motif
"Je
peins sur le motif. Le motif peut être un coin de jardin, des plantes
en pot posées sur les dalles de la cour, la silhouette d’un corps saisit
dans le reflet d’une vitre ouverte, une pomme ou un citron, un tas d’objets
accumulé dans un coin éclaboussé par une lampe halogène. Le travail commence
devant (avec) ça, sans histoire, feuille après feuille. L’image se construit
au fur et à mesure, par à-coups. L’image devient… L’intérêt du motif,
c’est qu’il propose des possibles dont le regard dispose et que le travail
de peinture ordonne, organise, re-compose..."
Que
le motif soit composé (ce qui est rarement le cas chez lui) ou trouvé,
n’a que peu d’importance puisque, de toute façon, il lui semble toujours
chaotique au premier abord. Or c’est justement cet aspect foisonnant qui
lui importe et qui lui plait :" plus il y a de choses, d’objets ou
d’images – ce qui revient au même -, moins j’y vois d’un coup et plus
j’ai envie de m’y mettre, de comprendre ce qui se joue dans de ce fourbi,
sous l’enchevêtrement de ces formes et de ces couleurs… Ce désordre (volontairement
entretenu) du motif est une mine que le regard creuse.
"Je ne finis par
voir qu’en m’enfouissant dans ce travail de restitution que permet la
peinture, c’est à dire en faisant un détour, en produisant un écart de
vision. Creuser du bout du regard, s’enfouir dans la masse des détails,
se perdre dans le touffu des formes pour discerner enfin, en peignant,
ce que, tout en regardant, je ne voyais pas encore."
Je
crois qu’il peint pour voir, dans son atelier qui est une sorte de refuge,
où se trouvent ses objets–témoins, bornes de tous ses chemins en peinture,
de tous ses cheminements dans la peinture. Objets à prendre la lumière,
ils sont tous choisis parce que témoins de la lumière et de la forme à
moment donné et parce qu’ils rendent possible, en eux même, la rencontre
avec cette vision inconnue qu’il a en lui et qu’il cherche.
Regard
"
Je ne fais pas ce que je vois, je construis ce que je vois. "
Ce
n’est donc pas le motif qui
construit l’image, le motif n’est qu’un modèle, un support du regard et
rien de plus :" c’est
la peinture qui construit le regard, pas l’inverse. Ce que l’œil perçoit,
ce que la main transpose, se décide en peinture. Autrement dit, je pense
en couleurs, en lignes, en vides, en pleins, en équilibre et en tensions.
"...je commence toujours
au hasard, sans savoir jusqu’où je pourrais voir, jusqu’où s’étendra la
représentation de ce que je regarde. Tout cela se met en place, s’organise
(ou s’ordonne ?) comme une plante qui chercherait la lumière dans
une pièce sombre. Le trait, la couleur et les formes avancent, je suis
leurs progressions tant que je peux… Souvent mes peintures deviennent
ce qu’elles sont, faute de mieux ! "
Son
regard se construit en peignant à partir de l’écart qui existe entre la
réalité vue et celle qui advient dans l’image. Car l’image peinte est
une réalité, en cela qu’elle est la condensation, la sédimentation d’un
regard et d’un geste.
"La peinture est un précipité qui fait apparaître
ce que je n’avais su voir. "
Écart
Peindre
donc, c’est mesurer l’écart qui sépare – à jamais sans doute – de ce que
nous voyons et de ce que nous avons cru voir. La peinture donne un instant
l’illusion d’avoir vu, mais à nouveau devant le motif, tout est à revoir,
à refaire… Rien n’est su, tout est à redire, à recommencer. Tout ce qu’une
image permet de saisir, de rencontrer, de découvrir se défile dès l’image
suivante.
Il
l’approche sur ses murs en épinglant ses feuilles de papier qu’il tient
un instant les mains à plat comme on tâtonne dans le noir en longeant
des murs, comme on marque la paroi de son empreinte ?
Il
marque.
Déclinaison
Une
image ne suffit pas.
Revenir sur le motif sans changer de place
reprendre un sujet sans que jamais il y ait la sensation d’une
répétition. Peindre pour construire un langage permettant de comprendre
les rapports qui surgissent entre toutes les choses entassées dans ce
coin de pièce. Les relations qui unissent ou séparent les objets d’un
motif se renouvèlent en fonction de l’éclairage ou de l’attention particulière
qu’on leur accorde. Comment faut-il approcher ces verres empilés? Faut-il
considérer ce qu’il y a derrière, dedans ou autour ? Faut-il envisager
la pile de verre ou le vide qui sépare la pile du papier froissé ?
De quelle couleur est ce vide ? Est–il
partout le même ?
Ces
questions, toujours, se traduisent en peinture par des réponses différentes.
Peindre, décliner, varier, modifier, multiplier les postures (non comme
un exercice) mais par nécessité de découvrir ou de comprendre comment
de la perception que l’on a du monde advient dans la représentation.
Figures
"…une
fleur, un cactus, une bouteille verte, une bouteille bleu outremer, un
citron sec, une carte postale représentant un puits d’extraction de minerais
à Gardanne, un os, un crâne de renard ramassé en forêt, un visage, un
arbre dans un champ en été en Écosse, un corps nu debout devant un miroir,
un chiffon jaune, du ruban d’emballage en plastique bleu roi, un galet
rose, un portrait de femme peint par Camille Corot, une page de magazine
déchirée, des paquets de cigarette empilés, une ombre, un panier en osier
rempli de pétale d’hortensia, la photographie en noir et blanc d’un jeune
homme dansant devant une glace brisée, un faux pistolet automatique avec
une crosse faite dans un manche de scie en bois dur, la réplique en terre
cuite noire d’un cheval Chinois, une boîte de Halva, une forme de chapelier
en buis …"
L’objet
n’est pas l’objet d’un culte, l’objet est là et tout est bon en lui :
bouteille, crâne, moulage de mains, mains articulées de gantier, jouets,
images, reproductions, boules de papier froissé, ficelle, morceaux de
plastiques colorés. Leur enchevêtrement prévu trace déjà quelque chose,
le fourbi est une architecture.
Histoire
Une
peinture se construit par fragments, par éclats, par rencontres…Les liens
ou les rapports qui se tissent entre les éléments du motif sont plus ou
moins aléatoires voire fortuits. Le sens, si l’ en existe un, ne précède
pas l’image, il se produit dans l’image et par l’image. Il n’y a pas de
références explicites, pas de clin d’œil en douce, pas d’histoires…
"Si
il y a des fréquentations il n’y a pas de citations. C’est toute l’histoire
qu’il existe entre une poire et le dos d’une femme. "
Il
n’y a pas d’hommage, de dévotion, de sacrifice, de vocation, il n’y a
pas même de guerre déclarée, de combat, d’opposition. Il n’y a pas d’histoire.
Il
y a un homme qui peint et c’est tout.
Aveux
"
Ce que je voudrais simplement faire, c’est une peinture aussi résistante,
aussi consistante que la réalité perçue dont elle s’inspire tout en rendant
compte des cheminements du regard."
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